Elles sont au lycée et je les ai repérées depuis longtemps. Nathalie est mini jupe, dentelles et velours, Clotilde est jupe plissée, chemisier et cardigan, Lorraine n'est rien du tout, ou bien jean et pull, elle se cache dans des grands t-shirts ou de gros pulls.
Je les ai remarquée depuis longtemps, la sophistication rêveuse de Nathalie, la grâce de Clotilde, la violence de Lorraine, qui a la réputation d'avoir giflé une surveillante. Elles tranchent sur tout le lycée. Je ne vois qu'elles. Si je les atteins, je deviens une vraie personne.
Je vais les atteindre par hasard et par Lorraine. Un jour, dans le couloir dans le bureau du proviseur. Lorraine et une autre fille attendent. Il y a eu bagarre, Lorraine a l'oeil mauvais. Moi, qui attend pour une histoire d'inscription en grec au bac à l'écrit sur laquelle seul le proviseur peut donner des éclaircissements, je la regarde. Lorraine est assise sur le banc, son attitude de suprême indifférence m'enchante, je dois être comme elle ; je me redresse et je prends l'air dégagé. L'autre fille se tient voutée, elle est furieuse. C'est une pétasse ordinaire, un jean moulant et des cheveux teints en noir, les yeux très maquillés.
Je m'assied à côté de Lorraine en travaillant bien l'air dégagé.
- Qu'est-ce tu fous là, toi, me demande l'autrefille avec une grimace - de dégoût ?
- Qu'est-ce ça peut te foutre ? répond Lorraine.
Avant de se tourner vers moi :
- Excuse-moi, tu veux peut-être lui répondre, mais j'ai trouvé son intonation.... je sais pas, ajoute-t-elle à mi-voix à mon endroit, je sais pas si elle fait exprèsd'avoir l'air aussi conne...
Je pouffe, c'est irrépressible.
- C'est toi la pute ! hurle l'autre en rage en se levant d'un bond ; il est évident qu'elle ne sait pas faire face aux piques acides de Lorraine, à part en hurlant.
- Oh oh oh, fait Lorraine en se levant très ostensiblement comme pour échapper à un coup de l'autre fille, qui en effet à fait un geste vaguement menaçant vers elle.
Le personnel administratif et le directeur sont là tout d'un coup ; le directeur y va de sa crise d'autorité ;il est là pour ça.
- Que se passe-t-il ? beugle-t-il vaguement.
- Faut pas nous laisser ensemble, elle va me frapper, fait Lorraine, avec un aplomb infernal.
Le directeur regarde sévèrement l'autre fille, qui n'en peut plus :
- Oh, crie-t-elle, mais non,c'est elle qui... qui...
Elle pers son calme et son attitude la dessert.
- Bon, fait le directeur, passez dans mon bureau. Et vous ? fait-il en me regardant.
J'explique, le bac, le grec, l'inscription, l'option.
- Ah oui !
Il a l'air accablé ; une élève studieuse ; je l'emmerde.
- revenez dans une heure. Je suis désolé, là, je n'ai pas le temps, vraiment pas.
Le soir, à la sortie du lycée, Lorraine m'attend. Ses cheveux blonds ruissellent sur son dos, sa bouche aux lèvres épaisses est ouverte en un immense sourire, elle est sanglée dans son jean qui la moule comme un collant et bien que le t-shirt soit large on devine qu'il y a du contenu :
- Tu fais du grec ? me demande-t-elle.
- Ouais.
- La classe. Moi j'ai fait du latin mais je foutais rien, j'ai arrêté. je regrette. J'aime les gens qui s'intéressent à la culture.
C'est fait, Lorraine est ma copine. Parce que je m'intéresse à la culture.